Maternité

Être maman : pour en finir avec le folklore

« Vous êtes enceinte. Maintenant, vous devez manger pour deux. » Pendant le second mois de ma grossesse, quasi tout de suite après avoir constaté la disparition de mes règles et consulté le petit objet blanc qui était censé me révéler mon état mais qui nous a laissés, mon chum et moi, perplexes toute une soirée durant (Toi, tu la vois, la deuxième ligne ? Admettons qu’elle y soit. T’es content, toi ?), j’ai su que le vieux dicton était faux. D’abord, à cause de ce sentiment continuel que la nausée pouvait apparaître d’un moment à l’autre. Si je mangeais trop, pas assez ou pas assez bien, je payais. Ensuite, sont venues les envies. Envie de fruits rouges, par paniers entiers. Puis envie de jus d’orange. Au repas suivant, je ne pouvais manger que du pain. Pendant trois semaines, je ne pouvais ingurgiter qu’un aliment à la fois, les mélanges et les cuissons me donnant aussi la nausée. Je pouvais manger de la salade trois fois par jour. Concombre, tomate, feta, un mélange qui m’a plu, m’a nourri pendant près de deux semaines (un repas si agréable en juillet). Finalement, j’ai arrêté de boire. À deux verres de vins les soirs de semaine, quatre ou cinq le weekend, et une cuite par mois (bon disons deux), avez-vous idée du nombre de calories que l’alcool représentait dans mon régime ? Du coup, j’ai découvert une foule de substituts délicieux à l’alcool : la glace, le lait de soja, le jus. Mais on ne prend pas une cuite au jus de pomme. À la mi-juillet, j’avais perdu 5lb.

J’étais superbe dans ma robe de mariée. Ma poitrine s’était épanouie et ma taille amincie. Tranquillement, je me suis remise à manger normalement. Mon appétit est redevenu normal pendant le troisième mois de grossesse, puis, au quatrième, il est devenu plus robuste. Malgré tout, j’ai encore besoin d’une grande quantité de légumes pour me sentir rassasiée et je n’ai jamais eu envie de vider le pot de glace. Peut-être que ça viendra. N’empêche, j’entame mon cinquième mois de grossesse je n’ai pris que 5 lb, celles-là même que j’avais perdu durant le premier mois.

Cette supercherie à propos de l’appétit n’est qu’un échantillon des mythes est qui entourent la grossesse. Jamais je n’ai été autant consciente de la superstition qui entoure l’enfantement. La femme enceinte, voire même le parent, est folklorisé, en même temps que son vécu  est ramené aux aspects les plus superficiels en passant sous silence ses facettes les plus troublantes. Une fois qu’on lui a posé les quelques questions habituelles, l’échéance de sa grossesse, ses symptômes, garçon ou fille ? Il semble que tout soit dit. Mais rien n’est dit. Tout est différent. L’anatomie change. On a de plus en plus de limites. On ne s’enivre plus, donc on demeure inhibé, collé à la réalité. Ainsi, à mon propre mariage, je suis demeurée sobre, j’ai regardé le feu de camp jusqu’à ce que je ne puisse plus garder les yeux ouverts. Mes invités, ivres et exaltés, on pu tenir jusqu’à cinq heures alors que je gagnais le plumard à deux heures du matin, un record compte tenu de mon état. Je ne regretterai jamais d’avoir été enceinte à ma cérémonie de mariage. Mes photos sont encore plus belles compte tenu de la signification de cette silhouette parfaite et de ce teint radieux que je revêtais le 10 juillet. Je les dois à mon bébé.

Je dois aussi à mon bébé un moment merveilleux passé au restaurant avec les filles du bureau, juste avant mes vacances. L’air de rien, ma patronne Lise m’a fait entrer dans la vie de maman en m’offrant mon premier vêtement de bébé, une camisole du Festival en chanson de Petite-Vallée. Les yeux se sont remplis d’eau et je me suis sentie émue et fière. Je n’oublierai jamais ce moment ou j’ai imaginé mon enfant d’un an sur la plage Gaspésienne. C’était d’autant plus surprenant du fait qu’on craint toujours d’être mal perçue par sa patronne quand on lui annonce qu’on va déserter le bureau pendant plus de six mois. Ce fut un grand moment de réconciliation entre la future maman et l’employée que je suis.

Au retour de vacances, j’avais rendez-vous au CHU Sainte-Justine pour ma première échographie. Encore là, l’issue de cette étape cruciale est ramenée, en société, à une seule question : garçon ou fille. Et pourtant. On passe des instants magiques à regarder un petit poing, le profil du bébé, ses bras, ses jambes, sa colonne, son crâne. Avant ce moment, je ne réalisais pas que le petit être en moi était déjà humain, complet, et qu’il avait une vie bien à lui à l’intérieur de moi. Il bougeait déjà énormément, mais je ne sentais rien à cause de sa petite taille. Pendant l’écho, on la vu tout droit, assis, de côté et de face. C’était merveilleux. Mais ça se partage en quelques mots, et une fois que c’est dit, c’est dit. Alors que pour le papa et moi, ça veut dire qu’à chaque moment, le miracle est présent, sans même qu’on en parle. Depuis, nous nous sentons les complices silencieux des premiers moments de la vie, un sentiment que tous les parents vivent à différents degrés, mais qui s’étale difficilement en public.

Néanmoins, nous nous sentons encouragés par le baby-boom qui sévit actuellement sur le Plateau, et également à Gaspé, où nous avons fait une escapade de quelques jours pour le Festival Musique du Bout du Monde. La ville grouille de trentenaires éduqués revenus s’installer en région pour offrir une vie agréable à leur progéniture. Même le porte-parole du festival, Boucar Diouf, est devenu récemment papa d’un petit Afro-Gaspésien, ce qui n’a pas manqué de nous faire sourire, nous qui seront bientôt parents de Belgo-Québécois de descendance rwandaise. Non seulement notre génération renoue avec la vie de famille, mais elle le fait dans un contexte où le métissage est omniprésent.

Mais revenons à la mère et à ses soi-disant envies. Cessons de dépeindre la femme enceinte comme une hystérique sujette aux sautes d’humeur, aux appétits bizarres. Cessons de la voir comme un être misérable, flasque et potelé (j’emprunte le vocabulaire directement à un livre sur la grossesse que je lis actuellement), peu attrayant et absolument pas en contrôle de ses émotions. Il est vrai que je prends du poids, mais je n’ai jamais mangé pour deux ni réveillé David au milieu de la nuit, en proie à une envie de Souvlaki. Il est vrai que je suis plus sédentaire, mais j’ai quand même fait tous les voyages que mon travail exige. Même si je suis un peu plus distraire qu’à l’habitude, j’arrive encore à mener plusieurs tâches de front et je compte bien me rendre à terme sans devenir une caricature de moi-même.

Je soupçonne d’ailleurs la tendance à caricaturer la femme enceinte d’être une manifestation de la peur qu’ont certains hommes de voir la femme occuper une place prédominante dans la société. En effet, maintenant que les femmes sont autonomes financièrement et qu’elles peuvent occuper des fonctions importantes, on ne peut plus utiliser l’expression sexe faible ou prétendre qu’elles manquent de qualités professionnelles. Frappons là ou le bât blesse, prétendons que sa fonction reproductive la rend affreuse et inapte à se comporter normalement. Comme le sexisme n’est pas seulement l’affaire des hommes, la femme est induite à penser que la mère en elle est improductive et qu’elle a quelque chose à prouver. Voici comment les Rachida Dati de ce monde en viennent à se pointer au bureau quelques jours après une césarienne, pour montrer à tous les Sarkozy de la terre qu’elles n’ont même pas eu mal…

J’exhorte mes consœurs à combattre les clichés, à vivre pleinement leur grossesse en déboulonnant les mythes et préjugés qui l’entourent. J’ose espérer que le baby-boom actuel marquera le passage à un ordre nouveau et dénué de ce folklore qui ressemble fort à du mépris.