Cela fait dix jours que je n’ai rien publié sur ce blogue. Un record depuis sa mise en ligne. Je n’ai pas vraiment d’excuse. J’ai cherché du boulot, relu Les trois modes de conservation des viandes, vu deux Bertolucci et deux Bergman. Rien à déclarer là-dessus. Ma découverte la plus incroyable de ces dix derniers jours est mon improbable et brutale rencontre avec la sobriété.
Tout a commencé par un mystérieux malaise qui s’est présenté à la mi-décembre. Au moment où la saison des partys de Noël battait son plein, j’ai découvert que mon organisme ne tolérait plus les aliments riches en gras, la bière et certaines combinaisons alimentaires. Tout en ralentissant la cadence, j’ai fait à tâtons quelques essais de diète, en suivant notamment l’avis du médecin qui me conseillait d’éviter les produits laitiers. J’ai aussi fait une croix sur la bière et les frites (ce qui n’est pas rien compte tenu que je suis fiancée à un Belge). Mais les crises survenaient tout de même, et à chaque appel à info-santé, les avis différaient. J’ai donc entrepris de faire mes propres recherches sur le web, pour découvrir que mon malaise portait un nom, le syndrome du colon irritable, et qu’il touche environ une personne sur sept, majoritairement des femmes.
Depuis dix jours, donc, je n’ingurgite ni alcool, ni produits gras, ni thé, je me contente d’un café le matin, j’ai remplacé mon pain de blé par du pain de seigle, mon riz basmati par de l’orge, je mets de l’avoine dans toutes mes collations, consomme quotidiennement yogourt et fromage probiotique. Je viens de connaître mon premier incident de parcours, même pas pour un sac de chips ou un verre de rouge, mais à cause d’une malheureuse poignée de raisins secs, une petite fringale qui m’a valu un autre épisode de crampes. Le régime devra durer 30 jours au total, suite à quoi je pourrai réintégrer la plupart des aliments à mon alimentation. Cependant, je devrai manger avec modération, car le syndrome du colon irritable ne se guérit pas. Il se contrôle.
Ça ne m’est pas tombé dessus pour rien. À peine deux semaines avant le début de mes crises, j’occupais un emploi qui nuisait grandement à ma qualité de vie. Durant les mois consacrés à ce travail, l’anxiété a ravagé mon corps. J’ai pris du poids, mes cheveux gris se sont multipliés, ma myopie a gagné du terrain, j’ai renoncé à ma vie sociale. En faisant mes recherches, j’ai découvert que l’anxiété est la principale cause du syndrome de l’intestin irritable. Et comme ma condition était assez sévère, je présume que c’est un bon indice du stress que mon organisme a subi.
Dehors, donc, la Marianne qui mangeait du saucisson, tartinait du St-André sur sa baguette blanche et relevait tous ses plats d’une généreuse dose d’huile d’olive. Adieu les multiples cafés, les apéros qui commencent à cinq heures pour se prolonger jusqu’à minuit, entrecoupés de nombreux services. Depuis dix jours, je passe en revue mes habitudes et me rends compte que je dois revoir ma conception du plaisir. Je remarque qu’il y avait un peu de mauvaise foi dans ma façon de prendre un quatrième verre qui passerait forcément moins bien que le troisième, ou de manger un dessert avec l’estomac plein. Pour ne rien laisser passer, je me suis souvent accordé des petits plaisir en sachant fort bien qu’ils étaient superflus. Or l’épicurisme n’est pas la recherche du plaisir à tout prix, mais bien la quête de l’équilibre, en évitant les plaisirs inutiles aux conséquences négatives.
Ce mois de février 2010 m’a enseigné la modération, au moment où je me laissais bercer par la relecture de ce magnifique roman de Maxime-Olivier Moutier. C’est donc à lui que je cède la parole. La vie, telle qu’elle est dans son hygiène, est le résultat de pertes et de retraits successifs. C’est aussi le secret d’une part importante de toute guérison.