Sobriété

Rencontre avec la sobriété

Cela fait dix jours que je n’ai rien publié sur ce blogue. Un record depuis sa mise en ligne. Je n’ai pas vraiment d’excuse. J’ai cherché du boulot, relu Les trois modes de conservation des viandes, vu deux Bertolucci et deux Bergman. Rien à déclarer là-dessus. Ma découverte la plus incroyable de ces dix derniers jours est mon improbable et brutale rencontre avec la sobriété.

Tout a commencé par un mystérieux malaise qui s’est présenté à la mi-décembre. Au moment où la saison des partys de Noël battait son plein, j’ai découvert que mon organisme ne tolérait plus les aliments riches en gras, la bière et certaines combinaisons alimentaires. Tout en ralentissant la cadence, j’ai fait à tâtons quelques essais de diète, en suivant notamment l’avis du médecin qui me conseillait d’éviter les produits laitiers. J’ai aussi fait une croix sur la bière et les frites (ce qui n’est pas rien compte tenu que je suis fiancée à un Belge). Mais les crises survenaient tout de même, et à chaque appel à info-santé, les avis différaient. J’ai donc entrepris de faire mes propres recherches sur le web, pour découvrir que mon malaise portait un nom, le syndrome du colon irritable, et qu’il touche environ une personne sur sept, majoritairement des femmes.

Depuis dix jours, donc, je n’ingurgite ni alcool, ni produits gras, ni thé, je me contente d’un café le matin, j’ai remplacé mon pain de blé par du pain de seigle, mon riz basmati par de l’orge, je mets de l’avoine dans toutes mes collations, consomme quotidiennement yogourt et fromage probiotique. Je viens de connaître mon premier incident de parcours, même pas pour un sac de chips ou un verre de rouge, mais à cause d’une malheureuse poignée de raisins secs, une petite fringale qui m’a valu un autre épisode de crampes. Le régime devra durer 30 jours au total, suite à quoi je pourrai réintégrer la plupart des aliments à mon alimentation. Cependant, je devrai manger avec modération, car le syndrome du colon irritable ne se guérit pas. Il se contrôle.

Ça ne m’est pas tombé dessus pour rien. À peine deux semaines avant le début de mes crises, j’occupais un emploi qui nuisait grandement à ma qualité de vie. Durant les mois consacrés à ce travail, l’anxiété a ravagé mon corps. J’ai pris du poids, mes cheveux gris se sont multipliés, ma myopie a gagné du terrain, j’ai renoncé à ma vie sociale. En faisant mes recherches, j’ai découvert que l’anxiété est la principale cause du syndrome de l’intestin irritable. Et comme ma condition était assez sévère, je présume que c’est un bon indice du stress que mon organisme a subi.

Dehors, donc, la Marianne qui mangeait du saucisson, tartinait du St-André sur sa baguette blanche et relevait tous ses plats d’une généreuse dose d’huile d’olive. Adieu les multiples cafés, les apéros qui commencent à cinq heures pour se prolonger jusqu’à minuit, entrecoupés de nombreux services. Depuis dix jours, je passe en revue mes habitudes et me rends compte que je dois revoir ma conception du plaisir. Je remarque qu’il y avait un peu de mauvaise foi dans ma façon de prendre un quatrième verre qui passerait forcément moins bien que le troisième, ou de manger un dessert avec l’estomac plein. Pour ne rien laisser passer, je me suis souvent accordé des petits plaisir en sachant fort bien qu’ils étaient superflus. Or l’épicurisme n’est  pas la recherche du plaisir à tout prix, mais bien la quête de l’équilibre, en évitant les plaisirs inutiles aux conséquences négatives.

Ce mois de février 2010 m’a enseigné la modération, au moment où je me laissais bercer par la relecture de ce magnifique roman de Maxime-Olivier Moutier. C’est donc à lui que je cède la parole. La vie, telle qu’elle est dans son hygiène, est le résultat de pertes et de retraits successifs. C’est aussi le secret d’une part importante de toute guérison.

Santé

Diète pour le syndrôme du colon irritable

Sans vous inciter aux diagnostics hâtifs, je vous encourage à suivre cette diète si vous pensez souffrir du syndrome de l’intestin irritable. Cette diète est saine, équilibrée et sans danger pour la santé. Vous n’y perdrez rien, même si au final vous souffrez d’autre chose. En revanche, si vos malaises sont dus à l’intestin irritable, vous verrez rapidement les résultats. Vos diarrhées disparaîtront, ainsi que la douleur, les gaz et les borborygmes. Qui plus est, vous désintoxiquerez votre organisme et perdrez quelques livres.

Je vous recommande d’adopter ces habitudes pour 30 jours. Au bout de 20 jours, vous pouvez réintégrer certains aliments proscrits, un à la fois, pour vérifier si, une fois votre santé intestinale rétablie, vous êtes à nouveau tolérant à certaines fibres insolubles, certains gras et autres irritants intestinaux.

Par exemple, hier, jour 21 de ma diète, j’ai testé une pomme avec sa pelure. J’ai ressenti un peu d’inconfort. L’aliment est donc supportable. Mais je tâcherai de consommer mes fruits sans pelure, autant que possible.

Après votre régime, il est possible que vous choisissiez d’écarter définitivement certains aliments de vos habitudes, d’en consommer d’autres uniquement à l’occasion, ou de vous permettre, en très petites quantités des aliments jugés nuisibles. Par exemple, j’ai fait une croix sur la mayonnaise et la viande grasse du poulet. Je consomme de la viande blanche et j’ai remplacé la mayonnaise par différentes sauces à base de yogourt, de fromage frais et de moutarde.

Manger sainement

Pour une description complète des aliments à inclure ou proscrire, consultez Passeport Santé.

SOS Cuisine a également conçu un menu pour ce désordre.

Commencez en éliminant complètement les produits gras, en consommant des fibres solubles à chaque repas. Évitez les légumes crus, le vin, la bière, le thé et le café.

Déjeuner

-Céréales Cherrios, Avoine Quaker

-Pommes sans pelure, bananes, oranges, pamplemousses

-Pain de seigle

Collations

-Yogourt probiotique, fruits sans pelure, bretzels

-Muffin à l’avoine.

Exemples de menus

Saumon mariné ou fumé avec fromage frais, câpres, citron et pain de seigle

Blanquette de veau

Pâtes à la sauce tomate

Viande maigres, courges vapeur, pommes de terre au four.

Risotto d’orge

Salade de pomme de terre avec thon, assaisonné d’aneth et de fromage blanc

Potages sans huile, beurre ou crème. Faites mijoter vos légumes et allongez la purée obtenue avec du lait.

Sauces

Remplacez la mayonnaise par du fromage frais. En plus d’être maigre, ce fromage contient des bactéries qui aident la flore intestinale à se régénérer.

Pour les sandwichs, la confiture d’oignon est un excellent substitut au beurre et à la mayonnaise.

Consommez du citron, des fines herbes et de la sauce tomate sans modération.

Bonnes habitudes

Faite comme les espagnols. Mangez les desserts entre les repas, à 10h ou 16h. Le gras contenu dans les muffins et les gâteaux affecte moins l’intestin que celui qu’on ajoute aux recettes de viande ou de pâte. Les collations sont une excellente façon de se rassasier rapidement et sainement. Par contre, évitez les croissants. Ils contiennent trop de beurre.

Faites comme les français. Consommez la salade à la fin du repas. Vous avez déjà une couche qui protège votre intestin. La salade passera mieux.

Si vous devez consommer un café ou un verre de vin, faites-le en mangeant. Je me suis permis un café tout au long de mon régime, je l’ai pris le matin avec mes toasts.

La bière provoque des ballonnements et les tanins du vin rouge sont nuisibles. J’ai attendu le jour 16 de mon régime avant de me permettre un verre de blanc. Comme j’avais accordé une pause à mon organisme, il l’a bien toléré. Par contre, limitez-vous à 3 verres maximum. L’alcool est irritant. Si comme moi vous aimez prendre plus d’un verre, espacez votre consommation. Si vous buvez quotidiennement, contentez-vous d’un verre.

L’excès est nuisible, mais aucun aliment n’est vraiment à proscrire si vous le consommez en petite quantité. Par exemple, j’aime bien le fromage, mais il est trop gras pour que j’en consomme autant que quand j’avais un intestin normal. J’ai donc renoncé aux plats gratinés, mais je m’autorise quelques bouchées de fromage après certains repas.

Les faux amis. Les fibres insolubles, comme le blé entier, les fruits secs et les crudités, sont des choix santé que vous devrez remplacer par d’autres. Par contre, des aliments interdits dans les régimes à index glycémique, comme les pâtes, les gâteaux et les pommes de terre, sont vos amis, tant que vous n’y ajoutez pas de produits gras. Certains des aliments antioxydants popularisés par le Dr. Béliveau et sa diète anti-cancer, comme le chocolat noir, les petits fruits, les choux, le thé vert, le vin rouge vous donneront des gaz et des douleurs intestinales. Procédez à un tri entre ceux que vous tolérez et ceux qui vous incommodent.

Recettes

Blanquette de veau

(2 personnes)

½ livre de cubes de veau de lait

1 oignon

2 carottes et 6 topinambours, pelés et coupés en cubes de 1 cm

1 bouquet garni

¼ de tasse de farine

1 cuillère à thé de muscade

1 cuillère à table d’huile végétale

Faire revenir l’oignon avec l’huile dans une poêle antiadhésive. Roulez les cubes de veau dans la farine et faites dorer de chaque côté, sans trop remuer. Lorsque la viande est dorée, ajoutez la muscade, le bouquet garni, les légumes coupés en cube et couvrir d’eau. Mettre au four dans une cocotte fermée, laisser cuire 2h à 350ºF.

Recettes

Risotto d’orge

1 tasse d’orge perlée

2 tasses d’eau ou de bouillon

1 cuillère à table d’huile

1 oignon

Faire revenir l’oignon dans l’huile. Ajouter l’orge. Remuer doucement pour imbiber de l’huile et du jus des oignons. Mouiller graduellement avec le bouillon. Couvrir et laisser mijoter. Avec l’oignon, vous pouvez ajouter, par exemple, du bœuf ou de l’agneau haché, des poivrons, de l’ail, des tomates, des champignons, des courges. Évitez d’ajouter de la crème, du fromage, du beurre, comme il est d’usage avec le risotto. Si vous voulez utiliser des champignons, évitez de les faire revenir dans le beurre. Vous pouvez utiliser des champignons déshydratés, et utiliser l’eau de trempage comme bouillon.

Féminisme, Télévision

Ève 2.0 : La vie après Sex and the City

Vendredi dernier, le 13 février, le médecin et écrivain Marc Zaffran était de passage à l’émission C’est juste de la TV pour discuter de l’influence des séries télés sur la perception du public. Ainsi, disait-il, une série comme Dr. House permet au public d’en connaître d’avantage sur le métier de médecin, le diagnostic, l’influence du facteur psychologique et relationnel sur la pathologie, etc. Il remarquait aussi que les séries québécoises aident à démystifier, notamment, l’homosexualité (Les hauts et les bas de Sophie Paquin) et la masculinité (Minuit le soir). Les séries télé jouent un rôle stimulent la réflexion et l’apprentissage. Si vous avez fréquenté ce blogue, vous savez que la télévision m’inspire et m’aide à mieux me comprendre (voir Le Grand amour et ce qui vient avec et Pourquoi les Québécoises n’épousent pas des hommes d’ici?). Dans cet article, je vous propose de faire le chemin à l’envers : partir de la bête lumineuse pour entrer dans ma boîte crânienne.

J’ai longtemps été fan de Sex and the City, cette ode à la femme indépendante et urbaine qui ne parle qu’au JE. Mais cette femme affranchie, je me suis mise à espérer secrètement qu’elle s’implique dans une vraie relation au bout d’un moment. Non pas que je considère le célibat comme un mode de vie incomplet. J’aime les vraies célibataires, les femmes qui se sentent bien toutes seules et qui ont des vies bien remplies. Seulement, lorsqu’il devient trop évident que l’héroïne multiplie les moyens de sublimer sa solitude et son désœuvrement, du magasinage de chaussures aux amants en passant par les multiples activités mondaines, on espère comme elle le revirement qui la délivrera de ces succédanés.

La femme au foyer n’ayant plus la cote, on écrit maintenant sur l’Ève 2.0, celle qui vit pour son boulot et délaisse amis, sœur et amoureux. Je pense notamment à Brigitte, le personnage principal de Toute la vérité, série que j’ai découverte cette semaine. Je suis fan d’Hélène Florent depuis qu’elle  a interprété Steph dans La Galère. Ce nouveau personnage, Brigitte Desbiens, est avocate aux assises. Elle a un amant, Sam, joué par Patrice Robitaille. Un amant-valise qui vit dans son propre appartement et qu’elle range dans un tiroir quand bon lui semble. Elle annule leurs rendez-vous plusieurs jours d’affilée mais le rappelle en catastrophe pour préparer le souper quand sa famille vient manger. Sam, toujours à la hauteur, vient à sa rescousse. Il y a mieux comme modèle d’équité sexuelle. Quand Brigitte vit un échec, elle noie sa peine avec les boys du bureau. On n’est pas loin des publicitaires de Mad Men avec leurs réunions noyées dans le scotch et leurs soirées de travail qui s’étirent au restaurant avec champagne et maîtresses à la clé. Ça fait peut-être glamour, mais sur le plan personnel c’est vraiment nul. Je n’ai jamais aimé socialiser au bureau, prendre des repas entre collègue et gâcher mes 5 à 7 à force d’anecdotes sur des clients. J’ai des amis pour mieux occuper mon temps. Et de meilleures histoires à raconter.

Crédit photo Le Soleil

Mon coup de cœur de l’année est sans doute La Galère. J’aime bien l’idée qu’on peut se construire une famille, si dysfonctionnelle soit-elle, en-dehors du modèle de la famille nucléaire. Mais ce qui me plaît par-dessus tout, c’est l’idée que quatre femmes puissent faire le choix le plus improbable sur lequel on a toutes fantasmées : vivre avec ses amies. Malgré toute l’audace de ma série new-yorkaise préférée, son auteure n’est jamais allée jusque-là. Le Marianne d’Or du plus beau personnage de série télé, je le donne à Stéphanie Valois, l’écrivaine à lunettes qui loue une maison de princesse pour y mettre ses trois meilleures amies et leur progéniture. Elle a cessé de croire au prince charmant et vit son grand rêve avec ses copines. Voici, donc, la nouvelle Ève à qui j’aimerais ressembler : une femme qui n’attend plus la relation parfaite, ni avec son chum, ni avec ses copines, ni avec ses enfants, mais qui accepte humblement de doser tout ça à sa guise, en étant aussi authentique que possible.

Cinéma, Littérature

Ce qu’on possède et ce dont on rêve

Nabokov a longtemps été le seul auteur classé sous la lettre N dans ma bibliothèque. Il y a quelques années, les nombreux tomes qui composent le journal d’Anaïs Nin sont venus le rejoindre, suivis de Neruda et Nietzsche, complétés cette année par un titre essentiel de Frank Norris, McTeague (Les Rapaces en français). Paru en 1899, ce roman naturaliste, tout comme le film There will be blood que j’ai adoré,  est une allégorie archi réaliste de la société américaine; c’est une fable capitaliste qui parle d’individualisme, de lutte pour le bonheur, de cupidité. À travers l’histoire d’un couple, on observe la déchéance de la société moderne, la décrépitude que provoque le besoin de posséder.

Dès l’instant où Trina avait cédé et s’était laissé embrasser, elle lui était devenue moins précieuse. (…) Peut-être entrevoyait-il confusément qu’il ne pouvait en être autrement, que cela appartenait à l’ordre immuable des choses – l’homme ne désirant la femme que pour ce qu’elle lui refuse, la femme vénérant l’homme pour ce qu’elle lui abandonne. (Frank Norris, Les Rapaces, Paris, Phébus, 1990, p.77)

La suite de l’histoire renforce la thèse de l’auteur; Trina et Mac se marient, s’installent dans leur vie, et Trina, qui possède déjà une jolie fortune, l’économise et l’arrondit, tandis que McTeague rêve d’encaisser cette somme pour en jouir pleinement. Il rêve de dépenser, elle vénère chaque sou qu’elle économise. Plus il la supplie de céder quelques dollars, plus elle est avare de son argent, de sa beauté, de son temps. Une situation qui se dramatise jusqu’à l’effritement complet de leur amour.

La question de l’avoir est, d’après Frank Norris, inhérente aux genres; bien que je l’admette dans une certaine mesure, ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Ce qui m’a frappé dans ce passage, c’est que c’est précisément la coexistence de ces deux pulsions inverses qui fait avancer. Aimer ce qu’on a, tendre à ce qu’on ne peut pas avoir. La littérature est remplie de ces personnages qui avancent, bercés par leurs illusions, sans la satisfaction quotidienne d’asseoir leurs espoirs sur du concret : Julien Sorel, Madame Bovary, Lucien de Rubempré, Anna Karénine. Des personnages qui connaissent une fin tragique, la plupart du temps. Mais qui continuent d’inspirer à travers les siècles. Parce qu’ils représentent l’essentiel, le désir, ce qui pousse en avant.

Les personnages contents et satisfaits de ce qu’ils ont ne peuplent pas les romans. Ce sont les bâtisseurs, les hommes d’affaires, mais aussi les salariés qui bouclent leur budget à chaque mois. Ils sont essentiels à la santé de la société. Ils peuplent les statistiques, donnent un outil de mesure aux gens qui cherchent le bonheur. Ils gagnent leur vie, avancent en âge et vivent en paix. Ils ne sont pas immortels, mais représentent le nécessaire, ce qui permet à la société de tenir, de durer.

Je me demande encore dans quelle catégorie je me place. J’ai indéniablement un pied dans le rêve. J’ai fait des études en arts. J’ai toujours mis la passion avant le besoin. Mais j’ai toujours une main qui s’agrippe fort au réel quand ma tête se perd en rêves et en illusions. Je ne suis pas heureuse sans idéal, sans espoir. Mais je ne peux pas supporter l’insécurité. En somme, je suis un peu McTeague, un peu Trina. Je profite de ce qu’on me cède, tout en continuant de rêver de la partie que je n’ai pas. Je pense que le contentement pur et simple, c’est la mort. La preuve, il n’y a pas de suicide dans un pays comme Haïti où la vie est un combat quotidien; mais il y en a énormément dans un pays nordique comme le nôtre où les gens sont bien nourris et relativement riches.

Mon pari est le suivant : on peut se procurer le nécessaire tout en gardant l’essentiel.

Je ne peux pas conclure sur McTeague sans parler du film qu’en a fait Erich Von Stroheim. Surtout compte tenu que cette adaptation s’est transformée en véritable allégorie des Rapaces.

En 1924, Stroheim a tourné Greed dans l’esprit de Frank Norris, avec de longs plans où la mise en scène organisait l’intrigue en maintenait le réalisme de l’action, souvent en décors et lumière naturelle. Il tenait à garder l’intégralité de l’intrigue de McTeague; son histoire comprenait toutes les péripéties et les intrigues secondaires du roman. La première version du film durait entre 10 et 12 heures. Stroheim procéda à une première coupe, en réduisant le film à six heures, suite à quoi il ne pouvait plus rien retrancher.

Pendant la postproduction, la Goldwyn Co. disparut dans la fusion qui donna naissance à la Metro Goldwyn Mayer. Goldwyn, qui avait démarré le projet, céda sa place à Louis B. Mayer. Sentant que son film allait passer par les ciseaux, Stroheim expédia son film à un ami qui le raccourcit encore de deux heures. Le film aurait alors pu être projeté en deux épisodes mais Mayer insista pour le raccourcir encore. Il en retira deux heures de plus et détruit le matériel restant. Von Stroheim ne se remit jamais de la disparition de son chef-d’œuvre.

On peut aujourd’hui se procurer une version DVD du film qui comprend des tableaux tirés des photos de tournages pour restituer les intrigues secondaires; on a aussi intégré les intertitres d’origine. Mais le director’s cut est perdu à jamais. Voilà un exemple extrême de ce qui se produit lorsqu’on laisse le nécessaire décider pour l’essentiel. Je trouve particulièrement cruel qu’un film d’une beauté inouïe qui se penchait justement sur la détérioration de la morale humaine pour cause de cupidité passe aux ciseaux à cause d’une rationalisation de l’industrie cinématographique.

Je vais continuer de désirer le chef d’œuvre que je ne verrai jamais, en me contentant de celui qui reste, comme un chien qui gruge un os. À suivre dans un prochain billet.

Plateau Mont-Royal, Vie de quartier

Le village de Vincent

Dans ma petite ville y sont pu rien que trois mille
Pis la rue principale est devenue ben tranquille
L’épicerie est partie le cinéma aussi
Et le motel est démoli
Quand j’y retourne ça me fait assez mal!
Y’est tombé une bombe sur la rue principale
Depuis qu’y ont construit le centre d’achat!

La rue Laurier est et ses environs est l’un des derniers villages du Québec. C’est l’un des seuls coins de la belle province où l’on trouve encore majoritairement des petits commerçants qui offrent des services de proximité : cordonnier, nettoyeur, esthéticienne, chocolatier, boulanger, épicier. Bien sûr, la rue Laurier a aussi son Jean-Coutu et son Métro. Mais ces grosses bannières sont locales, et après tout, elles comblent elles aussi des besoins quotidiens. À l’inverse, la rue Mont-Royal, la voisine de Laurier, a perdu sa vocation de rue principale. Elle a été envahie par des chaînes comme Yellow, Tim Horton, Starbucks, Tristan, l’Aubainerie, Subway, Ardene, amenant avec eux une pléthore de petits commerçants qui se développent en se nourrissant des restes des gros joueurs. Une multitude d’enseignes de sushis, sandwichs et accessoires made in china venus profiter du miracle économique qu’est devenue la rue des Gérald Godin, Michel Tremblay et Gaston Miron.

On pourrait croire que les régions s’en tirent à meilleur compte. C’est pire. Je pense à la rue St-Dominique à Jonquière ou au petit centre-ville d’Arvida où, quand j’étais petite, il y avait encore une SAQ et un grand magasin de détail. Partout au Saguenay, on a ouvert de gros centres qui ne sont accessibles qu’en voiture, avec pharmacie et épicerie, sans parler des magasins Wal-Mart de Jonquière et Chicoutimi qui ont signé l’arrêt de mort de plusieurs petites librairies, pharmacies, magasins de sports. Pour chaque commerçant dont la tête est tombée, on a créé un employé payé au salaire minimum, non-syndiqué, et sans pouvoir décisionnel dans l’entreprise. Mais ce qui compte pour la plupart des ménages, c’est de pouvoir acheter plus et à meilleur prix. Alors on se console de l’appauvrissement de la culture locale en profitant des offres imbattables du gros joueur de l’économie.

La rue Laurier a gardé ce petit quelque chose d’unique. On fait tout à pied. On connaît le boucher qui fait notre sandwich, on dit bonjour à notre coiffeuse en sortant faire les courses. On croise des amis sur la rue. On jase avec Carole et Claude du café Les Entretiens et on salue Ylva, la fée des lampes, à travers sa vitrine. Mais on remarque avec inquiétude que seuls les retraités et les Européens peuvent maintenant s’offrir le luxe d’acheter sur Laurier. Un matin, on apprend que Vincent SousMarins va devenir un gros projet de condo, possiblement avec un Starbucks au rez-de-chaussée, pour combler la demande des fortunés qui s’intéressent maintenant au Plateau. Alors on se rallie au groupe de citoyens qui travaille pour éviter la catastrophe. Faites comme moi, et devenez fan de la page PROJET GRANGE VINCENT sur Facebook, ou mieux, rendez vous à la réunion ce soir, mardi 9 février à 19h, en écrivant au projetgrangevincent@yahoo.ca.

Travail

Le métier parfait, rien de moins

Est-ce que la relation professionnelle parfaite est une chimère ?

Au Radiothon de CIBL Radio-Montréal, en novembre 2007

Ma vie est une longue suite d’essais et de compromis. Je n’ai jamais eu de plan; mais à dix ans, j’avais déjà l’esquisse. « Je vais étudier la littérature, partir en Espagne et devenir écrivain ». À 24 ans, j’avais déjà accompli une partie du programme. Le problème, c’est que chemin faisant j’avais accumulé des dettes et atteint un âge auquel le besoins se multiplient. Aujourd’hui, j’ai trente et un ans et je ne suis toujours pas écrivain.

J’ai déchiré des billets dans les théâtres, servi des bières, animé des émissions de radio, expédié des archives dans un hôpital. Tout me va. Et rien ne dure. J’ai vécu des ruptures de tous les styles. D’abord, il y a eu ces allers-retours avec un certain restaurateur, des départs résignés suivis de retrouvailles passionnées. Chaque départ était plus décidé que le précédent et les retrouvailles étaient de moins en moins heureuses. La conclusion est survenue au terme de six années de valses-hésitations. Il y a eu cette rupture consensuelle avec un chercheur qui n’avait que peu à m’offrir et qui a honoré mon départ d’une généreuse compensation. Je me souviens aussi d’une éjection particulièrement douloureuse précipitée par un patron d’entreprise à qui j’avais annoncé, un matin, que j’allais plier bagage parce que le travail qu’il m’offrait ne me plaisait pas. Comme si je lui annonçais « Je ne t’aime plus, restons-en là veux-tu? », il m’a éconduite dans les quarante-huit heures. Celle-là, je l’avoue, me reste sur le cœur. Mais la fin de notre idylle démontre qu’au final nous n’étions pas faits pour aller ensemble.

Vous me voyez venir avec mes lourdes analogies. Ma façon de gérer ma vie professionnelle est totalement similaire à la manière dont j’ai administré ma vie amoureuse un bon bout de temps. En gros, ma technique consiste à y aller à fond quand quelque chose me va, peu importe ce que c’est, aussi improbable que ça me paraisse, (comme dirait l’autre, whatever works), et à quitter avec un maximum d’authenticité quand ça ne marche plus. Pas de mensonges, pas de lapins, pas de coups bas. Juste la vérité. « Je ne t’aime plus » « Je regrette notre relation du début » « J’ai envie de revenir » « Tu m’as déçue ». On plie bagage et on recommence.

Mais voilà, au moment ou j’écris ces lignes, j’ai rencontré l’homme de ma vie. Celui qu’on ne quitte pas. Qu’on veut garder quoiqu’il en coûte. L’homme qui a transformé ma vision de l’amour, celui envers qui je me suis engagée à rester, même une fois passés les grands frissons du début. Je dois donc revoir l’ancienne méthode d’investissement professionnel, qui consistait à donner sans compter tant que je pouvais, et à faire table rase quand mes ressources étaient à sec. Cette époque est révolue. Maintenant, je dois m’efforcer de construire une relation professionnelle durable. Pas d’essais, pas de compromis. Le métier parfait, rien de moins.

Est-ce que ma théorie tient le coup ? Est-ce que la relation professionnelle parfaite est une chimère ? J’ai envie de vous entendre là-dessus, que vous me connaissiez un peu, beaucoup, ou pas du tout.